La libération des espaces publics est une vaste opération de déguerpissement des espaces publics dans plusieurs grandes villes du Bénin. Démarrée le 4 janvier 2017 par le gouvernement du Président Patrice TALON, cette opération vise à rendre à nouveau accessibles les artères et espaces publics, qui étaient occupés de manière illégale par des particuliers, des marchands ou des entreprises pour le compte d’activités commerciales.

Les trottoirs pris d’assaut par des revendeurs ignorant toutes les conséquences spatiales, économiques et sociales très importantes sur le Bénin sont ainsi libérés au besoin par la force mais non sans grincements de dents. C’était la fin d’une époque, finis les étalages de marchandises qui débordent sur les trottoirs des voies publiques.

Malheureusement, cette opération choc inspirée et menée par les autorités béninoises, ayant marqué les débuts de l’ère du régime de la rupture, fait suite aujourd’hui à la récidive des populations qui se sont réappropriés illégalement les espaces publics, jadis libérés.

Mais comment expliquer cet échec cuisant de l’opération de libération des espaces public ?

L’instinct de survie ;

Dans sa note sur la pauvreté de Juillet 2020 (Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages), l’Instad indique que 38.5% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. En milieu urbain, le taux est estimé à 31.4% de la population. En 2018, selon l’Enquête régionale intégrée sur l’emploi et le secteur informel, le taux d’alphabétisation des 15 ans et plus était de 41.7%.

Les deux enquêtes démontrent que le taux d’alphabétisation et le taux de pauvreté restent très élevé et expliquent en partie l’échec de la libération des espaces publics. Malgré les efforts considérables d’amélioration des conditions de vie des populations, et les investissements massifs opérés dans le secteur éducatif, ainsi que les infrastructures, la grande majorité des béninois se débrouille par eux même pour se nourrir au jour le jour. Nombre de concitoyens sont obligés d’ouvrir de « petits commerces » de proximité n’ayant pas de capital significatif, avec l’impossibilité de louer des locaux appropriés, afin de subvenir aux besoins vitaux de leur famille.

Il est très difficile d’arracher « une activité de survie » à des populations pauvres. Le cas du combat des gouvernements d’Amérique du Sud contre les cultivateurs de drogues illicite saute à l’esprit.

Les mesures d’accompagnement ;

Dans le cadre de la reconversion des acteurs de la filière de l’essence de contrebande, l’état a recensé 54.000 points de vente. Cinq milles personnes ont été réorientées vers le métier de textile sur la plateforme GDIZ depuis le début de cette année 2023. Pour les autres, l’état a choisi de moderniser les points de vente en subventionnant des mini-stations modernes.

Peut-être aurait-il fallu associer le déguerpissement des populations et l’occupation des espaces publiques avec des mesures d’accompagnements comme des reconversions professionnelles massives, des constructions de mini-boutiques de proximité destinées à la vente de produit locaux, par le regroupement de plusieurs acteurs occupant les espaces publics, etc.

La nature a horreur du vide ;

Dans l’ambitieux Programme d’action du gouvernement (PAG), l’asphaltage devait créer des terre-pleins centraux, des parcs de ville, de larges trottoirs aménagés, etc. Le fruit a-t-il porté la promesse des fleurs ?

Les axes routiers à fort trafic (axe Ciné concorde, église Saint Michel ou axe Godomey, étoile rouge, Commissariat central) n’ont pas été aménagé lors de la phase une du PAG. Les axes secondaires qui ont été aménagé, n’ont pas intégré la notion du piéton, utilisateur principal et privilégié du trottoir. La phase une de l’asphaltage à réserver la part belle aux axes de circulation des véhicules, et certainement pas aux trottoirs, aussi exigus les uns que les autres, et rendus encore plus encombrant par l’occupation des lampadaires de ville, arbres, et autres réseaux de ville (électricité, internet, eau). Les véhicules et autres motos garant allègrement sur les trottoirs et terres pleins centraux, le piéton n’a plus sa place. La nature ayant horreur du vide, les populations faute de ne rien voir, se sont réinstallés.

Faire ce qu’on dit, dire ce qu’on fait ;

En 2016, le Ministre du Cadre de vie, José Didier Tonato, déclarait, avant la mise en exécution de la décision gouvernementale de libérer les espaces publics : « les boutiques doivent être à l’intérieur des parcelles » et de faire le constat amer qu’au Bénin, « non seulement on occupe les devantures en érigeant les boutiques, mais aussi on occupe le reste de l’espace avec les pousse-pousse et les articles ».

« Nos villes sont en perte de vitalité. Notre cadre de vie est dégradé et manque d’attractivité. L’occupation anarchique des trottoirs et terre-pleins centraux, l’encombrement de la circulation, la paralysie de la mobilité, l’insalubrité, les risques d’accident, bref, la laideur de la ville », a fait savoir, José Didier Tonato.

En cette fin d’année 2023, le gouvernement a lancé un vaste programme d’acquisition de mini-stations qui s’installent d’ores-et-déjà sur les espaces publics encombrés de la ville de Cotonou. A en croire le Ministre d’état en charge de l’économie et des finances, une dizaine de milliers de mini stations sont en phase d’installation dans le Grand-Nokoué et seront présentes sur toute l’étendue du territoire d’ici 2024, dans le cadre d’un programme de reconversion et de réinsertion qui permettent de former ces vendeurs et de leur permettre de mener leurs activités dans des conditions qui ne mettent pas en péril leur vie et celle des autres.

Comment comprendre que l’état qui a interdit l’occupation de espaces publics l’occupe lui-même à travers l’installation de ces mini stations ? Comment comprendre les différentes autorisations ou dérogations accordées à une entreprise publique de vente de produits GSM ?

Les discours des deux ministres ne sont-ils pas contradictoires en termes d’occupation des espaces publics ?

Comprendre la psychologie de son peuple ;

Pourquoi les opérations de déguerpissement ne se répètent pas comme les répressions faites contre le défaut de port de casque et les plaques minéralogiques ? Pourquoi perçoit-on des taxes auprès des personnes qui occupent illégalement des espaces publics ?

Depuis la publication d’un communiqué de l’autorité préfectorale en date du 12 septembre 2023 invitant les occupants illégaux, tous ceux qui occupent les domaines publics (trottoirs, terre-pleins, centraux, etc…) à libérer pacifiquement et sans délai les espaces concernés, plus rien de concret ne se passe sur le terrain.

C’est différentes raisons ont très certainement freiné l’efficacité de l’action de déguerpissement.

Des centaines de milliards ont été consacrés à asphalter nos rues qui ne peuvent pas continuer à subir les actes d’incivisme que nous avons, par négligence, tolérés par le passé.

Bertin Djitrinou